Quand Karim Leklou a prononcé cette phrase en recevant son César du meilleur acteur à l’Olympia, une vague d'applaudissements a parcouru la salle, et une autre, silencieuse mais tout aussi puissante, a traversé mon esprit. Mon cœur a fait un petit high-five avec mon cerveau.
« Je dédie ce César à tous les gentils. » ET BAM !
Je ne sais pas pourquoi cette phrase me touche autant. Peut-être parce que le comédien vient de consacrer un prix majeur à une qualité qu’on oublie trop souvent d’admirer. Parce qu’en vrai, Karim, il a raison. La gentillesse, on l’a tous sous-estimée pendant des années. Pire : on lui a collé une étiquette de “trop”. Trop mou, trop bête, trop pathétique.
Ce 28 février, Karim a balancé un ouragan d’amour à tous ceux qui disent merci, qui trouvent que ghoster, ce n’est pas une stratégie amoureuse mais une fuite de cour de récré, qui demandent "comment ça va" en attendant réellement la réponse. Ceux qui ne jouent pas au mépris pour créer du désir, qui ne pensent pas que la passion doit ressembler à un duel de boxe émotionnel. Ceux qu'on appelle “les gentils”, avec ce ton condescendant, comme s'ils avaient raté quelque chose dans la grande jungle sociale. Ces spécimens trop souvent relégués à la case “plan-plan”, comme s'il fallait absolument souffrir pour être intéressant.
Pourquoi la gentillesse a-t-elle si mauvaise presse ? Pourquoi est-elle ce mot fourre-tout qui fleure bon la niaiserie, la fadeur, voire la faiblesse ? Quand on décrit quelqu'un comme “gentil”, c'est qu'on ne sait pas quoi dire de plus. Un gentil, c'est celui qu'on oublie, celui qu'on range dans la case des cœurs tièdes. Pendant longtemps, j'ai pensé comme ça aussi. Je me suis moquée des gentils. Pas frontalement, non. Mais avec cette condescendance inconsciente de ceux qui croient qu'il faut que ça fasse mal pour que ça en vaille la peine.
Je me souviens, à 20 ans, je me plaisais à dire que les mecs gentils n'étaient pas faits pour moi. Moi, il me fallait du mordant, du charisme, du mystère. Du James Dean trempé sous la pluie, du Chuck Bass en costume trois-pièces. J'étais persuadée que le bonheur était dans l'attente, dans le doute, dans cette adrénaline à la con qui fait qu'on analyse un simple “hello” comme si c'était une chose existentielle. Je voulais de la tension, du chaos, du drame. Les gentils me semblaient trop prévisibles. Était-ce moi qui étais idiote ou la société qui m'avait bien formatée ?
“La gentillesse, c’est sexy.”
Parce que oui, on nous a vendu les bad boys comme des héros romantiques. On nous a appris à confondre amour et souffrance, à croire que les absences calculées étaient synonymes de passion. Puis j'ai grandi. Et j'ai compris : la gentillesse, c’est sexy. Qu’un homme (ou une femme) qui vous traite avec considération, c'est mille fois plus cool qu'un silence radio de trois jours. Que les frissons viennent d’une main qui attrape la vôtre dans la rue, pas d’un DM ignoré. Oui, avec le temps, j’ai compris qu’il n'y a rien de plus audacieux que d'être sincèrement gentil, qu’il faut une force immense pour rester doux dans ce monde de brutes.
D’ailleurs, qu’en est-il de tout ce que je pensais cool avant ? Est-ce que demain, je rirai de tout ce que je crois “intéressant” aujourd’hui ? La vie, c’est un peu ça, non ? Une succession de croyances qui s’effritent avec le temps.
Par exemple, quand j'avais 20 ans, je croyais que le bonheur tenait dans un jean taille basse, une ceinture Diesel et un Nokia 3310. La vie était un clip de Britney Spears, une odeur de vanille sucrée, une obsession pour les abdos d’un mec qui ne savait même pas aligner trois phrases intéressantes. Je voulais être cool, mais surtout être perçue comme cool, ce qui est encore plus ridicule avec le recul.
Quand j'avais 20 ans, je trouvais ça bien d’avoir des opinions tranchées sur tout. J’étais persuadée que douter était un signe de faiblesse et qu’avoir des certitudes faisait de moi une personne impressionnante. Aujourd'hui, je me rends compte que les gens les plus intelligents sont souvent ceux qui se posent le plus de questions. Ceux qui savent dire “je ne sais pas”, “j'ai changé d’avis”, “explique-moi ton point de vue”.
À 20 ans, je pensais qu’aimer, c’était souffrir un peu. Sinon, ce n’était pas du vrai, pas du grand amour. Un amour devait être dévastateur, comme dans Roméo + Juliette, avec des larmes, du manque, des lettres qu’on plie et qu’on garde sous l’oreiller. Aujourd’hui, je comprends qu’aimer, c’est surtout être en paix. Et que si tu pleures tous les soirs, ce n’est pas de l’amour, c’est un putain de red flag de l’univers qui te hurle : “Casse-toi !”.
Je pensais que les amitiés seraient éternelles. Que ces gens avec qui je partageais des shooters de vodka-pomme dans des verres collants seraient là, toujours, comme une famille qu’on choisit. J’ai compris que certaines amitiés s’effacent doucement, pas par trahison, mais par usure du temps, par réalités différentes.
Je pensais que les adultes avaient tout compris. Qu’à 36 ans, j’aurais des certitudes, un plan de vie bien ficelé, des réponses. Spoiler : pas du tout. Mais j’ai appris à aimer l’incertitude, à voir la beauté dans ce qui change, à ne plus avoir peur de l’inconnu. Et surtout, j’ai compris que personne ne sait vraiment où il va. Même les adultes à cravate qui ont l’air sûrs d’eux.
À 20 ans je pensais aussi que la culture était une arme de distinction sociale. Que le bon goût était une manière de dominer les conversations, de glisser des références pour impressionner la galerie. Aujourd'hui, je sais que la culture, la vraie, c'est le partage. Ce n'est pas réciter ses classiques pour briller, c'est prendre autant de plaisir à parler de "Valeria" que d'un roman de Kundera.
On évolue, et heureusement. Mais parfois, je me demande : dans 20 ans, que penserai-je de la femme que je suis aujourd'hui ? Trouverai-je absurde de penser que le temps presse alors que j'ai encore tant à vivre ? Avec le temps, j'ai appris à aimer les choses simples et précieuses : les messages qui disent “bien dormi ?”, les bras qui ne comptent pas les points, les cœurs qui ne jouent pas au chat et à la souris. J'ai compris que les vraies montagnes russes émotionnelles ne sont pas celles qui font pleurer devant notre iPhone en attendant un message, mais celles qui nous font nous sentir bien, à notre place.
Et si on renversait la table ? Si on décidait, collectivement, d'arrêter de glorifier la froideur, l'ironie, la distance ? Si on admettait que la gentillesse, ce n'est pas un manque de caractère, mais un excès de courage ? L’âge, disait Sartre, c’est “le moment où le passé devient un autre pays”. Alors je me dis que peut-être que dans dix, quinze, vingt ans, je rirai de mes choix actuels, de ce que je valorise à ce moment-là, de ce que je considère comme “essentiel”. Peut-être qu’à 50 ans, je serai profondément reconnaissante d’avoir vécu mes années avec un peu de gentillesse, et un peu moins de cynisme.
Alors oui, cher Karim Leklou, je te rejoins. Je dédie moi aussi ce billet à tous les gentils. Parce qu'à la fin, ce ne sont pas les coups de poker émotionnels qui nous marquent. Ce sont les “Tu veux que je t’attende ?” murmurés sans y penser, les “Je t’épluche une clémentine” sans occasion particulière.
Qu’on se le dise, il n'y a rien de plus beau que la gentillesse et le véritable charme, c'est peut-être simplement les gens biens. Parce que finalement, les vrais héros, ce sont eux. Ceux qui osent être humains dans un monde qui nous pousse au cynisme. Et ça, franchement, c'est tout sauf plan-plan.
À la fin, ce ne sont pas les cœurs blindés qui gagnent. Ce sont ceux qui ont eu le courage d’aimer sincèrement.
Alors, à tous les gentils : ne changez rien. Le monde finira par comprendre que vous êtes ceux qui le rendent un peu moins con.
Et si un jour vous doutez, souvenez-vous qu’un type a brandi un César en votre honneur.
Bisous,
Aurélia, une vraie gentille.
Ou pas.
Tu es merveilleuse ! Cette plume. Merci de m’avoir rappelé qui j’étais à 20 ans. 😘